Le Soir - mardi 28 juin 2005, 02:00

Toujours, Wilchar rima avec anar

L'artiste multiforme était né en 1910, à Saint-Gilles

L'artiste belge Wilchar est décédé mardi, des suites d'une grave hémorragie cérébrale, à l'hôpital Sainte-Elisabeth, à Bruxelles. Il y était entré lundi matin et se trouvait depuis dans le coma, selon un communiqué de l'association « Les amis de Wilchar ».

Né en 1910 à Saint-Gilles, sous le nom de Wilhem Pauwels, Wilchar a allié peinture, linographie, affiches et écriture. Ses thèmes favoris étaient la bêtise et l'injustice humaine.

Dès 1933, il crée des affiches pour les partis socialistes et communistes, et devient un des plus grands affichistes politiques du pays. Dès 1940, il fait partie du groupe d'artistes Contact, un des points de départ de l'engagement communiste en faveur d'un art social en Belgique, et en 1942, il édite le journal clandestin « Art et Liberté ».

En 1943, Wilchar est déporté au camp de Breendonk - soixante ans après, le 6 mai 2003, malgré son grand âge, il avait tenu à y revenir pour l'inauguration du Mémorial par le roi Albert. Après sa libération, il réalisa des gouaches afin de raconter l'enfer vécu par les prisonniers.

A partir des années 50, l'artiste abandonnera peu à peu les affiches pour se consacrer à la linogravure.

Eternel révolté, Wilchar éditera soixante numéros de « Peint à la main » et de « L'Impertinent », qui se voulait être un périodique de démystification artistique et était destiné à faire connaître son oeuvre et ses combats. (Belga et V. Q.)

« Les inégalités sont encore là »

En février 1995, chez lui, à Alsemberg. Notre collègue Marie-Line Gabriel était allée rencontrer Wilchar à l'occasion de ses 85 ans. Voici ce qu'il lui confiait.

- On me qualifie d'anarchiste, mais j'ignore si j'en suis un. Je n'irais jamais placer des bombes pour le plaisir de tout faire sauter. Je l'ai fait jadis, mais les circonstances le justifiaient. C'était pendant la guerre, contre les Allemands.

- Je n'ai pas fait de l'art pour l'art. Mes tableaux ne sont pas une finalité en soi. C'est la méthode que j'ai utilisée pour dire mon analyse du monde. J'en tire ma conclusion et je la mets en image. En somme, j'ai raconté mon temps avec mon savoir-faire.

- À l'origine, j'ai milité avec la vigueur de tous ceux que les conditions sociales écoeuraient. Aujourd'hui, le combat n'est toujours pas fini : les inégalités sont encore là.

- J'ai réalisé des choses qui n'ont de significations que si elles restent groupées. Mon oeuvre est un tout. C'est pour ça que je n'ai pas commercialisé mon art. Mais je vais bientôt partir, fermer mon parapluie. Je crains qu'on ne disperse ce que j'ai voulu maintenir.

« Wilchar, les larmes noires. » En 1993, Richard Olivier lui avait consacré un film documentaire. Voici ce que Dominique Legrand en disait dans « Le Soir ».

Wilchar, communiste anar, rescapé de l'univers concentrationnaire de Breendonk : une épreuve quasi inexprimable, et qui aujourd'hui encore mouille les yeux et serre la gorge. Comme pour camoufler son drame, un sens aigu de l'originalité, un goût pour les teintes vives et provocantes comme en témoignent les décorations farfelues ornant la grille d'entrée de sa maison. Le cinéaste belge dresse le portrait de cet artiste hors du commun : « Wilchar, les larmes noires » est une rencontre avec l'Autre qui est à la fois sujet et objet. Ici, le réel touche le domaine de l'adhésion sensible : son film n'est pas seulement portrait, il s'agit d'une déflagration. L'horreur des camps, la dureté de la condition ouvrière, et d'un corps et d'une mémoire qui en sont les témoins, éclatent aux quatre coins d'un petit écran qui laisse passer l'émotion du souvenir.