LETTRE OUVERTE A WILCHAR, L'ARTISTE-RESISTANT.

" L'art a cessé d'être un jeu " racontait le poète Aragon dans les années '60, excédé qu'il était par les délires pseudo-esthétiques qui dominaient alors dans les milieux de l'"art à la mode".Dit en des temps bien particuliers et avec la verve qu'on devine en ces années agitées, la phrase et l'idée conservent pourtant toute leur pertinence aujourd'hui. Même si le " sérieux " appelés de ses vœux par l'éditorialiste des prestigieuses " Lettres Françaises " qu'il était alors aussi, n'empêchait bien sûr, dans son esprit, ni dans le nôtre d'ailleurs qui le lisons aujourd'hui, l'humour, la joie, ou la saine dérision.

Ecrivains, peintres, cinéastes ou musiciens, maniant moins le concret sans doute qu'il nous arrive de le faire dans nos empressements aux trois quarts inutiles, nous disent en effet, par émotions contrôlées, le travers de nos vies et les quelques chemins de marche possibles.

Savons-nous pourtant assez à quel point les grandes pointures de l'art plastique (sans parler des autres !), Grosz, Dix, Heartfield ou Picasso bien sûr, nous annoncèrent, inconsciemment peut-être, " innocents " parfois, les délires à venir encore du fascisme allemand et de sa nature intrinsèquement meurtrière? Avons-nous alors prêté à leurs " avertissements " toute l'attention que leurs formes inventées , inédites et " curieuses ", nous suggéraient pour le moins ?

L'art, quel qu'il soit, ne prédit pas. Mais, subtilement, entre les lignes, il annonce. L'artiste ressent et raconte, par quelles routes aventureuses, il lui a été donné de rencontrer, en un rêve peut-être, joie, inquiétude ou tristesse à venir. Mais, indéfectiblement, il est bien un Homme de son temps. Et en cela sa solidarité avec nous, ses concitoyens, est réelle, totale. Aussi " dérisoire " pourra-t-elle apparaître à nos yeux, c'est à l'aune de son dialogue avec nous que l'œuvre finale dont il est le créateur pourra alors nous apparaître bonne, mauvaise …ou prétentieuse.

Bref, en tout état de cause, pour autant qu'il soit d'un talent réel ou avéré, l'artiste mérite, sans naïveté ni dévotion , notre respect et notre écoute attentive, parce qu'il nous dit, malgré nous trop souvent, en météorologue averti, " le temps qu'il fait dehors " ou celui qu'il pourra faire plus tard...

Or, notre artiste du jour a pourfendu l'injustice, au prix, souvent, de sa santé, au risque parfois, de sa propre vie. C'était en 40-45 quand, pour montrer sa détermination à l'encontre de l'horreur fasciste, il fallait aussi faire exploser des bombes et détruire physiquement l'ennemi-tortionnaire. L'homme a payé. Durement. De l'enfer du camp de Breendonck où l'on tuait, torturait et humiliait sans commune mesure, l'artiste, emprisonné, a ramené quelques gouaches que nous vous présentons aujourd'hui, témoignages émouvants et furieux d'un temps qui, un demi-siècle plus tard, le met encore en larmes et en colère!

Wilchar, l'artiste résistant, Wilchar, l'artiste combattant, impertinent à l'égard de tous les conformismes, rieur et moqueur comme un Bruegel, à l'encontre de tous les opportunismes et faux-semblants hypocrites, en aucun cas, jamais, ne s'est démenti. Impertinent à l'égard de ceux qui, en pleine guerre, ont cru à la pérennité du chaos hitlérien, il est resté, toute sa vie, impertinent à l'égard de ceux qui, comme aujourd'hui, et dans une superbe ou naïve arrogance, ne jurent que par la puissance de l'argent. En guerre contre l'omnipotence économique et l'écrasement moral de l'être humain qu'elle induit, il mène contre eux, avec une identique férocité, ce combat qu'il tenait alors contre ces criminels qui croyaient en l'avènement d'un Reich Millénaire!

…Wilchar, l'ami, artiste impertinent, imagier populaire comme tu aimes à le dire, tu es de ceux qui, en art et dans la vie, a été, sans concession, et en toute modestie, l'honneur de cette humanité un peu perdue dont nous ne savons que trop aujourd'hui à quel point ses hérauts ne se font point rares, mais en tous points discrets et condamnés, croient-ils pour la plupart, à un silence ou à une résignation sans retour. Est-ce pour cela, que ton impertinence légendaire et tes colères occasionnelles, éclatantes dans tes œuvres peintes ou gravées, nous sont si chères et que ton art nous restera toujours indispensable?

L'utopie viendra plus tard, tu verras, quand, assurés de nos chances, nous serons parvenus à construire les bases de ce monde que tu réclames depuis si longtemps et que nous espérons activement avec toi. Elle sera faite, d'un peu moins d'injustice, d'un peu plus d'équité, d'un peu moins d'arrogance et d'un peu plus de dignité pour tous les humains de cette terre si dramatiquement éclatée.

A ce moment-là, peut-être, serez-vous, toi et tes amis artistes, non plus de simples amuseurs exotiques, sources parfois de bien profitables spéculations financières, mais des citoyens bien vivant menant avec les autres citoyens du monde, ce dialogue et cet échange de terre et de ciel sans lequel, jamais, l'homme, il y a des millénaires, n'aurait pu naître pour grandir et, parfois, laisser des merveilles au regard des générations futures…

Toute une révolution déjà !
Tu ne trouves pas ?
Tout un programme sur terre, en tout cas, auquel nous atteler au plus vite et en devant duquel,
nous mettant collectivement en marche,
nous te reconnaissons WILCHAR,
la barbe claire…et l'attrappe-souris collé au front de ton chapeau..

Jean-Christophe YU
Historien de l'art